Haïti, otage de ses élites ? Un rapport du FMI alerte sur les failles du système haïtien

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En février 2025, un numéro du magazine DevHaïti, présentait une évaluation détaillée de la gouvernance et de la corruption en Haïti.  Basée sur un rapport du Fonds monétaire international (FMI), les articles mettent en lumière l’ampleur de la corruption, ses liens complexes avec la fragilité de l’État et le rôle des élites politiques et économiques ainsi que des gangs. On aborde également les lacunes du système financier haïtien et la nécessité de renforcer le cadre juridique et institutionnel. Enfin, il explore l’impact de l’aide internationale et des pistes pour une meilleure gestion afin de favoriser le développement durable d’Haïti.

 

La gravité de la corruption en Haïti

Un tableau sombre de la gouvernance et de la corruption en Haïti est présenté dans ce rapport, Haïti est qualifié d'”élève déplorable” en matière de gouvernance optimale et de lutte contre la corruption. Le pays se classe parmi les 15 pays où la perception de la corruption est la plus élevée, avec des scores de 17/100 en 2023 et 16/100 en 2024 selon l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) de Transparency International.

L’impunité est devenue la norme et s’est aggravée ces dernières années. Les principales lois et réglementations ne sont pas appliquées en raison de l’ingérence des élites, du manque de capacités, de moyens et d’indépendance.
Exemples concrets

L’affaire PetroCaribe est citée comme un exemple éloquent du niveau de corruption régnant dans l’administration haïtienne. Malgré des rapports parlementaires et de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (en 2019 et 2020) faisant état de détournement, de surfacturation, de collusion et de malversation d’environ 2 milliards de dollars de 2008 à 2018, aucun membre de l’administration publique impliqué n’a été poursuivi.

Les procédures officielles, comme la déclaration de patrimoine par les personnalités publiques de haut rang, ne sont jamais suivies. Aucune personnalité de haut rang n’a été poursuivie pour corruption malgré de nombreuses enquêtes transmises à la justice par l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC).

Le système judiciaire haïtien manque de crédibilité, est vulnérable aux influences extérieures et souffre de problèmes internes tels que la corruption, le manque de formation des magistrats, et un suivi insuffisant des dossiers (sur des centaines de déclarations d’opérations suspectes reçues par l’UCREF, seules 3 à 10 communications par an ont été faites aux autorités judiciaires, sans aucune condamnation pour blanchiment à ce jour).

Une corruption tripartite entre la politique, l’économie et le crime organisé

Les élites politiques d’Haïti sont constituées de politiciens passés et présents et quant aux élites économiques elles forment un cercle relativement étroit. A eux deux , ils contrôlent la majorité de l’économie, influencent le processus démocratique et le sabotent si leurs intérêts sont menacés. Elles financent et arment les gangs en échange de votes et de protection, et recourent à l’assassinat, l’intimidation et le népotisme. 


Quant au crime organisé,  le pays est gangréné par des gangs. Environ 200 gangs sont actifs dans le pays (dont 95 dans la capitale), coopèrent régulièrement avec les élites pour servir des intérêts oligarchiques par des enlèvements, des meurtres et l’intimidation. Ils exercent une influence importante sur la gouvernance et dérèglent les activités économiques, imposant des “taxes” en toute impunité.Avant février-mars 2024, les gangs contrôlaient plus de 60 % de Port-au-Prince, incluant des zones économiques essentielles (douanes, marchés publics, distribution d’eau/électricité, transports).

Tous ces éléments associés à la fragilité de l’État qui se traduit par l’affaiblissement continu des institutions démocratiques, la mainmise des élites politiques et économiques, et l’incapacité des autorités à garantir la sécurité et l’état de droit sont les principaux facteurs contribuant à la fragilité d’Haïti.

Le système financier haïtien

Le système financier haïtien souffre de faiblesses structurelles durables en matière de gouvernance financière, compromettant sa stabilité et sa transparence. «Le système financier haitien est dominé par huit banques détenant l’équivalent de 25 % du PIB national. Il inclut également de nombreuses  institutions de microfinance et d’autres entités spécialisées», indique le rapport. Bien que la situation financière globale des banques reste jugée «satisfaisante» selon les standards Internationaux, elle est fragilisée par la dégradation continue de la situation économique et sécuritaire du pays».

Un des cas emblématique, est la Banque populaire haïtienne (BPH), contrôlée par l’État, qui est en situation d’insolvabilité depuis 2016, sans que les mesures de résolution légales ne soient appliquées, ajouté à cela d’autres lacunes réglementaires et opérationnelles. 


L’aide internationale

L’aide humanitaire internationale a été essentielle pour fournir des services de base, cependant, malgré des programmes d’aide généreux, les niveaux de fragilité en Haïti et dans d’autres pays pauvres ne se sont pas améliorés de manière significative entre 1979 et 2009.


Ensuite l’aide au développement en faveur d’Haïti n’a pas été systématiquement associée à un changement structurel pour la réduction de la pauvreté et la construction de l’État. Elle a souvent été perçue comme une récompense ou une punition pour les dirigeants, et non comme un soutien à un objectif de développement à long terme.  Ajouté à cela que les acteurs Les acteurs de la communauté internationale, ainsi que le secteur privé et la société civile, ont souvent remplacé l’État dans plusieurs secteurs, opérant sans surveillance ni coordination adéquates. Avant 2010, les ONG assuraient, par exemple, 70% des services de santé et 85% de l’enseignement.

Des pistes pour  favoriser le développement durable du pays


Les auteurs du rapport soulignent qu’il est impossible de s’attaquer à la corruption généralisée et de renforcer la gouvernance sans rétablir la sécurité et la stabilité politique,et,  cela passe par des réformes structurelles pour rétablir la confiance et une mise à niveau du cadre juridique existant. Des “îlots d’excellence” existent dans le secteur public et devraient être soutenus et mis à profit pour améliorer la gouvernance et réduire la corruption. 


La Banque Mondiale doit innover pour lutter contre la corruption en se concentrant sur l’exploitation des données et technologies pour guider les réformes, renforcer les contrôles et améliorer la transparence. Il est aussi conseillé d’améliorer la passation électronique des marchés publics pour réduire la collusion et le favoritisme.

Le FMI préconise une priorisation soigneuse de l’aide, une meilleure coordination entre les pourvoyeurs d’aide, et un investissement dans la mise en place d’institutions transparentes et comptables pour briser le cycle de la fragilité. L’aide devrait être axée sur le développement durable des institutions et des réformes structurelles. La diaspora haïtienne, qui contribue significativement au PIB via les envois de fonds (environ un quart en 2021), a un effet stabilisateur sur le pays et pourrait jouer un rôle accru dans la lutte contre la corruption, notamment dans la création d’un “pôle de lutte contre la corruption”.

Consultez le rapport complet ici